Au printemps 2022, Arnaud posait les bases d’un projet qui germait depuis un moment dans son esprit : et si L’Autre Thé faisait pousser son propre thé, à sa façon… en France ? Nos 2000 premiers théiers ont été plantés en mai dernier, mais pour...
thés biologiques & d'excellence
Darjeeling : aux sources du « champagne du thé »
A l'occasion de l'arrivée des thés primeurs (première récolte du printemps), j'avais envie de vous emmener en Inde, et plus précisément dans la région de Darjeeling, où l'on produit à cette occasion le "champagne" du thé, appelé ainsi en raison de sa teinte dorée, de ses qualités gustatives, mais aussi de sa rareté.
L’Inde tient pour moi une place toute particulière parmi les pays de thé : c’est la destination que j’ai choisie pour mon tout premier voyage spécifiquement lié à l’univers du thé, en avril 2009, quelques mois après avoir ouvert le premier comptoir L’Autre Thé. Si j’y suis retourné depuis, ce voyage à la découverte d’une nature luxuriante et d’un pays emprunt de spiritualité est toujours cher à ma mémoire. Envie d'en savoir plus ? Je vous emmène dans mes jardins de thé préférés...
Darjeeling : de quoi parle-t-on ?
* Une ville et un district
Avant d’inspirer à Wes Anderson son célèbre film « The Darjeeling Limited », qui s’inspire du Darjeeling Himalayan Railway, un chemin de fer mythique qui traverse la région, Darjeeling est avant tout le nom d’une ville et d’un district du nord de l’Inde, dans l’état du Bengale-Occidental. Située dans les contreforts de l’Himalaya, près de la frontière népalaise, la ville de Darjeeling tire son nom du tibétain རྡོ་རྗེ་གླིང་, « le Jardin du Foudre-diamant », qui est aussi le nom d’un monastère.
Fond de carte : PlaneMad – CC-BY-SA 3.0
* Un thé
Par extension, le thé produit dans la région est connu dans le monde entier sous l’appellation « Darjeeling ». La région cultive essentiellement du thé noir, en altitude, au sein d’une myriade de jardins de thé de toutes tailles.
Jardin de thé à flanc de montagne. Les paysages sont somptueux !
Photo : A. Dhénin © L’Autre Thé
Initiée à la fin du XVIIIe siècle par les colons anglais, désireux de prendre leurs distances commerciales avec la Chine et de pouvoir produire suffisamment de thé au sein de l’Empire britannique, la culture du thé en Inde a rapidement pris de l’ampleur, jusqu’à trouver en Darjeeling un terroir idéal, vers 1841 (date à laquelle les premiers théiers Sinensis sinensis, venus de Chine, sont introduits dans la région). Très vite, les thés de Darjeeling acquièrent une réputation d’excellence et de raffinement qui ne les quittera plus.
Le Darjeeling : thé vert ou thé noir ?
Quand on regarde les feuilles d’un thé de Darjeeling première récolte de printemps (primeur) et lorsqu’on le goûte pour la première fois, il n’est pas du tout évident de savoir s’il s’agit d’un thé vert ou d’un thé noir. Les feuilles sèches sont vertes, bien plus claires que des feuilles de thé noir, et le goût est délicat, sur des notes fraîches beaucoup plus que boisées. Il s’agit bien pourtant d’un thé noir, car il est travaillé après récolte exactement comme tel. Les récoltes d’été et d’automne sont, quant à elles, beaucoup plus nettement typées « thé noir ».
Pour ajouter à la confusion, on trouve maintenant également en provenance de cette région d’autres couleurs de thé (blanc, vert, oolong), mais cela reste tout de même anecdotique.
Même la teinte de la liqueur est entre les deux, d’un ambré clair moins sombre qu’un thé noir classique.
Photo : A. Dhénin © L’Autre Thé
Qu’est ce qui rend le thé de Darjeeling si spécial ?
La particularité des thés de Darjeeling tient à plusieurs paramètres :
* Un climat bien particulier
Située en altitude dans l’Himalaya, la région est particulièrement brumeuse et les températures chutent la nuit. De nombreux arbres protègent cependant les théiers des trop fortes variations climatiques (vent, soleil, pluie…). Ces conditions contrastées font pousser les théiers lentement et donnent des feuilles plus petites, mais aussi plus tendres.
Il n’est pas rare que la brume recouvre totalement les champs de thé...
Photo : A. Dhénin, © L’Autre Thé
… mais comme la météo en montagne reste imprévisible, il vaut mieux prévoir de quoi se protéger du soleil comme de la pluie - Photo : A. Dhénin, © L’Autre Thé
* Une variété ancienne
Contrairement à beaucoup de thés noirs indiens et à la majorité des thés, qui sont travaillés à partir du « Camellia Sinensis Assamica », les Darjeeling sont issus de théiers « Camellia Sinensis Sinensis », une variété à plus petites feuilles. C’est la variété la plus ancienne, et elle produit les thés les plus prisés.
* Des cultivars spécifiques
A la manière des cépages pour le vin, les différents cultivars du thé permettent de travailler de manière fine sur un sol et un terroir donnés. A Darjeeling, on trouve encore aujourd’hui de nombreux plants issus des premiers cultivars importés de Chine par les Anglais et qu’on nomme souvent « China » ou « Pure China ». Mais les producteurs de thé ont cherché au fil des ans à développer des variétés encore plus adaptées à leurs contraintes (en terme de sol, de rendement, de résistance aux parasites locaux…) et ont créé ce qu’on appelle des « hybrides » en croisant deux variétés (on parle de cultivar « clonal » en anglais). L’un des hybrides les plus connus et reconnus en Inde est par exemple le « AV2 » (pour
« Ambari Vegetative n°2 »).
Au final, le thé est souvent un assemblage subtilement dosé entre différents cultivars, par exemple comptant une partie de China et une part de récolte issue d’un hybride. Pour simplifier, les cultivars China apportent des notes plus astringentes avec des arômes de raisin muscat bien présents, tandis que les hybrides sont souvent plus fruités, plus gourmands, et apportent de belles notes de fruits jaunes.
C’est donc tout l’art du producteur que d’assembler subtilement ses récoltes pour faire ressortir l’arôme qu’il veut obtenir.
* Un petit insecte bienfaiteur
Edwardsiana flavescens, connu aussi sous le nom de « cicadelle verte », est un insecte très répandu, souvent perçu comme nuisible pour les cultures, mais qui se révèle un allié surprenant pour les plants de thé. En effet, il grignote les feuilles pour se nourrir de leur sève, et, autant il gène la croissance de nombreuses plantes qu’il apprécie (vigne, mûriers, coton, pomme de terre…), autant son intervention sur les théiers de Darjeeling contribue, en modifiant la chimie des feuilles, à donner une saveur unique à ces thés. On lui devrait, au moins en partie, la note de raisin muscat si caractéristique et inimitable des Darjeeling.
* Des récoltes codifiées
Les théiers de Darjeeling sont récoltés trois fois par an, et chaque récolte présente un intérêt gustatif différent.
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la récolte de printemps : la meilleure et la plus prestigieuse est celle du printemps. Elle dure un mois, et permet de collecter des feuilles qui ont profité de la phase végétative du théier et des mois d’hiver pour pousser lentement et se gorger de nutriments. Au sein de la récolte de printemps, chaque jour compte et on les numérote (J1, J2, J3…), les meilleurs thés étant ceux récoltés les tous premiers jours. Cette récolte est celle des thés dits « primeurs » ou « first flush » en anglais.
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la récolte d’été : on reste sur de très bons thés, mais ils n’ont pas l’impression de fraîcheur végétale si caractéristique des récoltes primeurs.
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la récolte d’automne : les thés prennent des notes plus boisées, moins sur le fruit. C’est par exemple le cas de notre Darjeeling Chamong, que vous pouvez retrouver dans nos comptoirs toute l’année.
La cueillette est effectuée par des mains expertes
Photo : Jakob Trepel, tous droits réservés
Les feuilles sont soigneusement choisies lors de la récolte, puis triées à deux reprises : d’abord, grossièrement à la machine, puis feuille à feuille à la main. J’ai assisté à une session de tri des feuilles, qui s’effectue dans une ambiance studieuse et dans le plus grand silence ; impressionnant !
Tri manuel des feuilles de thé – Photo : A. Dhénin, © L’Autre Thé
On trouve aussi souvent des lettres accolées aux noms des thés indiens. C’est ce qu’on appelle le « grade », qui renseigne sur la finesse de la cueillette et le travail de la feuille (selon qu’elle est entière, brisée ou broyée). Si l’on retrouve ce système de notation ailleurs en Asie, les grades de l’Inde du Nord et du Népal sont particuliers à cette région.
Les principaux sont :
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GFOP : feuilles entières avec beaucoup de bourgeons (cueillette : bourgeon terminal + 2 feuilles suivantes)
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TGFOP : feuilles entières avec une très haute teneur en bourgeons, devenus dorés avec l’oxydation
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FTGFOP : un TGFOP de grande qualité
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SFTGFOP : un FTGFOP de qualité exceptionnelle. Retenez que plus on lit de lettres, plus la qualité est élevée.
Pourquoi l’expression « champagne du thé » ?
Sa rareté, ses grandes qualités gustatives, son rattachement à un terroir bien identifié, sont autant de points communs entre le thé Darjeeling et le vin de Champagne. On est aussi dans les deux cas face à des boissons d’exception, qui sont souvent assez onéreuses. Et enfin les arômes de muscat si particuliers au Darjeeling sont également un clin d’œil aux raisins qui font le champagne !
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Après ce préambule pour clarifier le sujet, je vous emmène comme promis à la découverte de mes jardins de thé préférés dans la région. Pour débuter, je vous propose une petite bande-son pour vous mettre dans l’ambiance. J’ai enregistré ces sons vers 6h du matin lorsque j’étais au jardin de Makaïbari. Magique non ?
L’atmosphère apaisante et les incroyables bruits de la forêt donnent à la nature une présence envoûtante, nimbée de brume, qui fait le charme de la région. Photo : A. Dhénin © L’Autre Thé
Makaïbari : où la magie de la nature opère
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Date de création : 1859
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Superficie : 450 hectares (taille moyenne par rapport aux autres jardins de la région), dont seulement 150 hectares de thé et 300 hectares de jungle sauvage.
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Altitude : entre 800 et 1500 mètres.
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Certifications : agriculture biodynamique certifiée bio.
Créé en 1859 par JC Bannerjee, ce jardin est longtemps resté dans la même famille à laquelle il doit beaucoup de son identité unique. Passionné par la nature sous tous ses aspects, Rajah Bannerjee décide dans les années 1980, à contre courant de ce qui se fait alors, de n’utiliser aucun produit chimique, ni engrais, ni pesticides. Soucieux de ne pas détruire l’écosystème par l’agriculture, il réintroduit dans ses terres les animaux sauvages naturellement présents dans la région et sauvegarde de larges pans de jungle. Sa vision de la nature est holistique et basée sur l’équilibre entre tous les habitants, animaux, végétaux et humains, qui doivent tous s’épanouir sans nuire aux autres. Il créée ainsi des dispensaires médicaux gratuits et des écoles à destination de ses employés, et des temples constellent son jardin, pour honorer les divinités qui permettent ce bel équilibre. Le domaine est souvent désigné par l’expression « Magical Mystical Makaïbari », ce qui témoigne de l’importance accordée également à la spiritualité dans la gestion du domaine. Celui-ci est d’ailleurs cultivé en biodynamie.
Le très charismatique Rajah Banerjee m’explique sa vision du thé
Photo : © L’Autre Thé
La biodynamie, qu’est ce que c’est ? Si l’on peut résumer la biodynamie par la combinaisons des principes de l’agriculture biologique avec une certaine approche ésotérique de la nature, il convient cependant de distinguer biodynamie théorique et biodynamie pratique. A l’origine, la biodynamie a été développée par Rudolf Steiner, le fondateur controversé de l’anthroposophie, et repose sur des pratiques magiques associées à des rituels qui partent du principe que la vie terrestre est régie par des forces cosmiques non prises en compte par la science. Loin de cette vision fermée, beaucoup d’agriculteurs aujourd’hui se revendiquent d’une approche empirique de la biodynamie, basée sur leurs croyances personnelles, sur leurs observations et intuitions, plutôt que sur un dogme quelconque. Par exemple, l’ajustement des pratiques agricoles aux cycles lunaires est chose assez courante. |
Je me suis rendu pour la première fois à Makaïbari en 2009 et j’ai été soufflé par la beauté et l’harmonie de ce jardin. C’est une cueilleuse et sa famille qui m’ont hébergé, j’en garde le souvenir d’une rencontre géniale et de bons moments au sein d’une famille très accueillante, malgré la barrière de la langue !
Avec mes hôtes adorables devant leur maison
Photo : A. Dhénin, © L’Autre Thé
Le cru 2022 que j’ai choisi cette année a été récolté dans les premiers jours de la récolte de printemps. Il se compose de belles feuilles lentement arrivées à maturité. Il est rond et délicat avec de belles notes de muscat typiques et des saveurs florales un peu sucrées, ainsi qu'une fine astringence. Une très belle année ! |
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Yanki tea : le jardin béni de Mme Yankhu
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Date de création : 2014
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Altitude : entre 1500 et 2130 mètres.
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Certifications : certifié agriculture biologique
Dans la vallée de Mirik, entre 1500 et 2130 m d’altitude, Yankhu Tamang cultive le jardin qu’elle a créé en 2014. Passionnée de thé et désireuse de concrétiser des valeurs qui lui sont chères, madame Yankhu a fondé une coopérative équitable regroupant une soixantaine de petits producteurs qui cultivent le thé en agriculture biologique et veulent faire le thé à leur façon, loin des grands groupes internationaux.
Dans un monde très masculin, où les femmes sont souvent cantonnées à la cueillette et au tri des feuilles, elle fait figure d’exception mais a su faire sa place en proposant des thés d’un très bon niveau.
Une dégustation avec Yankhu Tamang – Photo : A. Dhénin, © L’Autre Thé
Quand j’ai visité sa plantation, j’ai pu assister à la bénédiction des thés par les moines du monastère local : tous les ans, cette cérémonie place les récoltes sous l’égide des dieux et jusqu’à présent, on peut dire que c’est une réussite !
On retrouve là aussi un vrai amour de la nature : les producteurs évitent la monoculture pour ne pas appauvrir les sols, et les théiers poussent au milieu des herbes, des fruits sauvages et arbustes de toutes sortes.
Les récoltes sont aussi réalisées à la main dans le jardin Yanki Tea
Photo : A. Dhénin © L’Autre Thé
Le cru 2021 possède une belle longueur en bouche et sa fine astringence souligne des notes végétales et fruitées qui rappellent la vanille et les fruits secs. La récolte 2022 ne devrait plus tarder ! |
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Déguster les Darjeeling de printemps : mes conseils
Les thés de Darjeeling ont beau être des thés noirs, ils font partie des fameuses exceptions quant aux paramètres d’infusion à leur réserver. Je vous conseille une température de 85°C maximum, et un temps d’infusion à ajuster autour de 3 minutes.
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J’espère que ce petit voyage en Inde vous aura transporté l’espace d’un instant loin du quotidien ! Rendez-vous dans nos comptoirs pour retrouver un concentré d’Inde dans votre tasse de thé :)
Découvrir nos thés primeurs 2022 |
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