Au printemps 2022, Arnaud posait les bases d’un projet qui germait depuis un moment dans son esprit : et si L’Autre Thé faisait pousser son propre thé, à sa façon… en France ? Nos 2000 premiers théiers ont été plantés en mai dernier, mais pour...
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Le thé Pu-Erh : histoire, millésimes & bienfaits
Certains d’entre vous nous demandent en boutique « le thé anti-cholestérol s’il vous plaît » ou « un thé minceur brûle graisse » et rencontrent ainsi, un peu par hasard, la famille des thés Pu-Erh. Car derrière cette réputation bienfaisante, issue de la médecine chinoise, se cache une famille de thé particulièrement singulière tout autant que méconnue du grand public en Occident. Au-delà de ses bienfaits santé et de sa réputation de « thé minceur », le Pu-Erh est en effet l’un des seuls « thés de garde » qui se bonifie au fil des années. Ses qualités gustatives en font un thé véritablement à part, très différent par ses saveurs des autres familles de thé. Ni thé noir, ni thé vert, on appelle aussi cette famille les « thés sombres » ou les « thés post-fermentés ». Intrigué ? Allez, regardons cela de plus près !
Qu’est ce que le thé Pu-Erh ?
On le retrouve sous plusieurs appellations : Pu Er, Pu-Erh, thé sombre, thé vieilli, thé fermenté, thé post-fermenté, tuo cha… En Chine, on le nomme même « thé noir » pour ajouter à la confusion ! (et ce que nous appelons « thé noir » en Occident est désigné comme « thé rouge » là-bas). En réalité, les Chinois se basent sur la couleur de la liqueur (le breuvage obtenu après l’infusion des feuilles), alors que les Occidentaux regardent la couleur des feuilles sèches, d’où cette différence de nomenclature… Ce qu’il faut retenir ? Le thé Pu-Erh est une famille à part. Ce n’est pas un thé noir au sens occidental. Il appartient à la famille des thés sombres. Les thés de cette famille se différencient de toutes les autres familles par la fermentation qu’ils subissent.
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Oxydation ou fermentation ?
Là aussi un point « vocabulaire » s’impose : « oxydation » et « fermentation », en ce qui concerne le thé, sont souvent confondues en Europe. Si tous les thés subissent plus ou moins d’oxydation (peu pour les thés blancs, un peu pour les thés verts, plus ou moins poussée pour les oolongs et quasiment complète pour les thés noirs), seuls les thés sombres subissent une fermentation.
Pour rappel, l’oxydation est la réaction qui se produit naturellement chez tous les végétaux une fois récoltés au simple contact avec l’oxygène contenu dans l’air. Une pomme qui noircit après que vous l’ayez coupée en deux en est l’exemple le plus simple. Le thé n’échappe pas à la règle : une fois ses feuilles récoltées, le processus d’oxydation s’amorce naturellement.
La fermentation, quant à elle, est une réaction tout à fait différente. Elle peut se produire chez les végétaux (comme chez toute matière organique) sous l’effet de micro-organismes (comme des levures ou des bactéries). C’est notamment grâce à la fermentation que le sucre du raisin se transforme en alcool lorsque l’on fait du vin, ou que le lait devient fromage. Cette réaction est due à l’action de bonnes bactéries naturellement présentes dans les aliments, qui, soumises à certaines conditions de chaleur et d’humidité, sécrètent des enzymes qui vont modifier la chimie de l’aliment d’origine.
Ce procédé est véritablement « vivant », puisqu’il s’opère en continu et fait écho à ce qui se passe naturellement dans nos organismes (le rôle du fameux microbiote intestinal dans l’assimilation de ce que nous mangeons en est l’illustration). Ainsi, un aliment fermenté présente-t-il souvent des bienfaits particuliers lorsqu’on le consomme, et le thé sombre ne fait pas exception. Le Pu-Erh est donc soumis, lors de son élaboration, à la chaleur et un certain taux d’humidité pour activer sa fermentation et se retrouve ainsi, outre son goût transformé, particulièrement positif pour l’équilibre de la flore bactérienne du corps humain.
Diurétique, drainant, amincissant… Quels sont les bienfaits réels du thé Pu-Erh pour la santé ?
La médecine chinoise prête au Pu-Erh depuis des millénaires des vertus digestives et dépuratives. L’action des bonnes bactéries produites par sa fermentation est réputée pour aider à éliminer le mauvais cholestérol et dissoudre les graisses. Les populations nomades d’Asie le consomment depuis des siècles en tant que complément alimentaire, pour équilibrer leur régime basé sur beaucoup de viande grasse comme le yack. De manière générale, ce thé soutient les fonctions d’élimination du corps humain : il est drainant, c’est pour cela qu’on l’associe souvent à la perte de poids et qu’on lui décerne le titre de « brûle graisse ». A titre personnel, j’ai déjà pu apprécier ses effets détoxifiants… les lendemains de fête ! C’est un thé que je recommande grandement pour éliminer quand on a un peu abusé des bonnes choses :)
D’où vient le thé Pu-Erh ?
Comme le thé en général, le Pu-Erh est originaire de Chine, et plus précisément du Yunnan (plus précisément des villes de Pu’Er, de Lincang, et de la préfecture de Xishaungbanna), une province du sud ouest du pays, considérée comme le berceau du thé en général. Cette région montagneuse dont les sommets culminent aux alentours des 2 000 mètres possède, en plus d’une terre particulièrement riche, un climat chaud et humide, avec une abondante saison des pluies. Altitude + richesse du sol + climat subtropical : les conditions idéales pour la culture du thé y sont réunies.
Le Pu-Erh doit son nom à la ville de Pu’Er, qui est encore aujourd’hui un important pôle pour les échanges commerciaux liés au thé et fut autrefois le point de départ de la route du thé. Les récoltes locales y convergeaient avant d’être ensuite dispersées dans tout le pays. Si on appelait à l’époque « pu-erh » tous les thés achetés à Pu’Er, l’appellation concerne aujourd’hui uniquement les thés sombres qui sont produits dans cette région dont c’est la spécialité.
Localisation de la ville de Pu’Er ©Croquant - CC-BY-3.0
On retrouve les premières traces de l’existence du thé Pu-Erh sous la dynastie des Tang (618 à 709). Le thé était à l’époque essentiellement utilisé comme condiment, notamment dans la soupe, et connaissait déjà une grande popularité dans tout le pays, à tel point que la question du transport du thé s’est rapidement posée. Comment faciliter le transport des feuilles de thé sur des longs trajets (à dos de cheval), le conserver correctement pendant ces longs trajets et maximiser les quantités transportées à chaque voyage ?
Le Pu-Erh : un thé compressé
Les Chinois ont rapidement trouvé une solution ingénieuse. En compressant fortement les feuilles de thé, on peut créer des volumes compacts faciles à empiler sans perte de place, et permettant de plus de mieux préserver le thé lors de ces longs voyages. La compression limite en effet le contact des feuilles avec l’air et ralentit fortement l’oxydation des feuilles. Les fameuses galettes de Pu-Erh étaient nées, et ce format est encore aujourd’hui celui qui prime lors du façonnage des Pu-Erh. Si l’on peut trouver certains Pu-Erh en vrac, la plupart sont compressés sous diverses formes : galettes, briques, nid (c’est ce que l’on nomme « tuo cha »), cube…
La galette de Pu-Erh est un format très courant et pratique (on trouve des galettes de différentes tailles), qui se démocratise de plus en plus sous nos latitudes. Pour ajouter à la singularité de l’objet, notons que sa forme ronde est associée en Chine à la pleine Lune, symbole de la réunion de tous les membres de la famille et gage de prospérité. Un beau présent à offrir à quelqu’un qui nous est cher, non ?
Une galette de 100g de Pu-Erh Sheng de 2013. On note la présence typique du « Nei Fei », la marque de commerce apposée sur les feuilles de thé avant compression, qui indique la provenance du thé.
Photo : Arnaud Dhénin © L’Autre Thé
Pu-Erh cru, Pu-Erh cuit
Si vous plongez dans le monde fascinant du thé sombre, vous serez très vite confrontés à un choix : votre Pu-Erh, vous le préférez cru ou cuit ?
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Le Pu-Erh cru, dit « Sheng » est un Pu-Erh fermenté selon la méthode traditionnelle, vieille de plus de 3 000 ans. Sa fermentation va s’étaler sur 10 à 50 ans, il arrivera à maturité à partir d’une trentaine d’années. La patience nécessaire à son épanouissement en fait un thé rare et coûteux, d’autant plus prisé qu’il est ancien et qu’il a été bien conservé. Les collectionneurs et les amateurs peuvent investir dans un Pu-Erh Sheng relativement jeune en tablant sur son évolution ; c’est un véritable investissement, que certains ne font pas que par amour du thé (une véritable bulle spéculative s’est créée autour du Pu-Erh dans les années 2000 !).
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Le Pu-Erh cuit, dit « Shu » a vu son vieillissement accéléré selon une méthode inventée dans les années 1970 pour répondre à une demande toujours grandissante. En une cinquantaine de jours, le Pu-Erh est soumis à des conditions de chaleur et d’humidité intenses. Ce sont des thés qui ne gagnent pas forcément à être conservés longtemps et qui sont faits pour être consommés tout de suite.
On pourrait en conclure un peu trop rapidement que les « shu » sont des versions industrielles destinées aux palais moins avertis, et on aurait tort. Les Pu-Erh cuits présentent en effet des particularités gustatives qui leurs sont propres, qui diffèrent de celles des « sheng » mais n’en sont pas moins vraiment dignes d’intérêt.
Shu ou Sheng : quelles différences au goût ?
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Un Pu-Erh Sheng ayant déjà quelques années (3-5 ans minimum) offre une liqueur jauen clair légèrement ambrée. Doucement astringent, ce thé rappelle le végétal, la forêt humide, l’herbe, la pierre, la terre. Au fil des infusions, il révélera des notes subtiles plus minérales et fruitées (fruits secs). C’est un thé qui reste plutôt vif, profond mais avec des notes assez vertes et rafraîchissantes.
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Le Pu-Erh Shu offre un profil plus direct, boisé et animal. Sa belle liqueur d’un brun rouge cuivré tirant sur le noir (c’est la raison pour laquelle les Chinois l’appellent « thé noir », rappelez-vous) présente des notes de cuir, de champignon, de mousse, de bois ciré, un côté animal, souligné par des arômes plus subtils de vanille, de caramel, voire de réglisse. On est sur un thé beaucoup plus rond, très réconfortant, parfait pendant les mois d’hiver.
Comment sont travaillés les thés Pu-Erh, d’où vient la différence entre Shu et Sheng ?
Pas mal d’étapes successives sont nécessaires pour façonner un Pu-Erh :
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La cueillette : elle se fait sur des théiers sauvages multi-centenaires pour les Pu-Erh les plus prestigieux.
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Le flétrissage : on étend la récolte au soleil pendant quelques heures, ou bien on la dispose sur des claies dans une pièce chauffée.
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La dessication (le fait de retirer l’humidité des feuilles) se fait traditionnellement dans des cuves chauffées au bois.
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Le roulage est manuel, on manipule les feuilles de façon à former une grosse boule de feuilles.
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Une deuxième dessication et un deuxième roulage peuvent être nécessaires.
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Le séchage est effectué soit au soleil, soit dans une serre à la température et à l’humidité contrôlées.
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Le tri : tout résidu éventuel est retiré.
A ce stade, on obtient un thé Mao Cha, avec lequel on peut produire indifféremment du Pu-Erh cru ou cuit. On peut bien-sûr aussi le déguster tel quel !
A partir du Mao Cha, les étapes diffèrent ensuite selon le résultat attendu :
SHENG | SHU |
8. Les feuilles sont triées en 9 grades, selon leur taille. C’est aussi le moment où le producteur peut réaliser des assemblages entre plusieurs récoltes. 9. La pesée : on mesure tout d’abord la quantité de feuilles selon le poids final désiré de la galette. 10. La compression : un jet de vapeur redonne la souplesse nécessaire aux feuilles pour préparer la compression. On pose le Nei Fei (l’étiquette en papier) sur le sommet du tas de feuilles, on enveloppe le tout dans un textile, puis l’ensemble est pressé sous une pierre (méthode artisanale) ou au moyen d’une presse hydraulique (méthode industrielle). 11. Le séchage : le linge est retiré et la galette est mise à sécher à l’air, jusqu’à ce qu’elle retrouve le poids mesuré avant compression. Ce sera le signe que toute l’eau s’est correctement évaporée. 12. L’emballage : la galette est enrobée d’un papier individuel, on regroupe ensuite les galettes par 7 dans une écorce de bambou séchée (l’ensemble s’appelle un « tong »). On place enfin 6 tongs dans un panier de bambou (le « jian »), qui contient donc 42 galettes et pèse environ 15kg. 13. Le vieillissement (ou « post-fermentation ») : les micro-organismes présents dans le thé font très lentement fermenter les feuilles (sur plusieurs décennies). |
8. La fermentation : on recouvre les feuilles d’eau puis d’une toile, et on expose le tout à une température et une humidité élevées pendant 45 à 65 jours. Les feuilles sont régulièrement retournées pendant cette période. 9. Le tri : on retire toutes les feuilles qui n’ont pas fermenté. 10. La compression : même méthodes que pour les thés « Sheng ». Il est conseillé d’attendre au moins 3 mois avant de déguster un thé « Shu », afin que la fermentation se stabilise . |
Un tong contenant 7 galettes de Pu-Erh - © L’Autre Thé
Y a-t-il beaucoup de théine dans les thés Pu-Erh ?
On note une concentration de caféine (c’est la même chose que la théine) moyenne dans les Pu-Erh : environ 80mg dans un litre de thé infusé. Si l’on compare avec le thé qui en contient le plus (le matcha, avec 500mg de caféine par litre de thé), c’est peu ! Bien-sûr, la concentration de caféine dépend aussi beaucoup du type de Pu-Erh, de son origine, de son âge, et de son mode de préparation. Elle varie également selon la durée et le nombre des infusions successives).
Comment utiliser une galette de Pu-Erh pour préparer son thé ?
Le thé Pu-Erh vous intrigue, vous avez envie de goûter ; très bien ! Il vous reste maintenant à apprivoiser l’objet un peu incongru qu’est la galette au premier abord. Eh oui, comment s’en sert-on pour se préparer un thé ? Je vous ai fait un tuto en vidéo sur le sujet, vous allez voir, c’est bien plus simple qu’on ne pourrait croire :
Bien infuser son thé Pu-Erh
Voici mes conseils pour profiter au mieux de votre thé sombre. Je recommande d’utiliser un gaïwan (appelé aussi zhong) pour multiplier les infusions (il serait dommage de se priver des nuances que révèle le Pu-Erh au fil des infusions!). Bien-sûr, on peut tout à fait le préparer en théière, à vous de voir selon le matériel dont vous disposez et avec lequel vous êtes plus à l’aise.
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Rincez le thé s’il s’agit d’un pu-erh déjà âgé (on recouvre les feuilles avec une eau à 100°C, on attend quelques instants (une dizaine de secondes) puis on vide l’eau et on garde les feuilles, qui sont prêtes pour l’infusion). Ça n’est pas indispensable pour un pu-erh jeune.
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Chauffez votre eau entre 95 à 100°C (selon le type de Pu-Erh et les recommandations de votre fournisseur).
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Infusez en théière de 3 à 5 minutes pour un jeune Sheng (moins de 10 ans). Pour un Sheng plus âgé ou pour un Shu quel que soit son âge, on peut infuser jusqu’à 6 minutes. Observez aussi l’aspect des feuilles de votre thé pour déterminer le temps d’infusion. Les feuilles entières auront besoin de plus de temps, plus les feuilles sont brisées moins il faudra les laisser infuser.
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Si vous infusez en gaïwan, réalisez 5 à 10 infusions successives de 30 secondes chacune. Plus le thé est âgé, plus on peut multiplier les infusions.
Le gaïwan (ou zhong)
Bien sûr, affinez les temps d’infusion et la température selon vos préférences et vos expériences (c’est tout le bonheur du thé). J’ai récapitulé mes conseils (et plus encore) dans une seconde vidéo :.
Comment bien conserver le Pu-Erh, thé de garde et de millésimes ?
Si vous avez choisi un Pu-Erh cru (Sheng), il faudra lui laisser plusieurs années avant que son goût ait suffisamment évolué.
Pour le conserver dans la durée, on conseille :
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une température entre 20 et 30°C (pas forcément constante)
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une humidité constante entre 60 et 70 %
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un endroit sombre
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un endroit bien ventilé
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un stockage loin d’autres aliments très aromatiques (café, épices…) pour éviter toute altération de ses saveurs
Si vous disposez déjà d’une cave à cigares ou à vin, votre Pu-Erh devrait pouvoir y trouver sa place.
Qu’en est-il des accords thé/mets ?
Le thé Pu-Erh se marie très bien avec des mets de caractère : avec un fromage à pâte dure comme le parmesan ou le comté, avec des champignons forestiers ou encore avec du gibier. Ça change du vin et devrait surprendre vos invités !
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Et quels thés Pu-Erh trouve-t-on à L’Autre Thé en ce moment ?
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Un Pu-Erh Shu bio en vrac, pour s’initier
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Un Pu-Erh Sheng 2008 de Menghai en galette de 100g
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Un Pu-Erh Sheng « Gu Shu Zi Juan » de 2013 en galette de 100g
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Des lots de mini-galettes de 5g de Pu Erh Sheng 2015
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Un Pu-Erh Sheng « Gaoshan Ye Sheng » de 2018 en galette de 200g
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Un Pu-Erh Shu 2008 de Menghai en galette de 100g
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Des lots de mini-galettes de 5g de Pu Erh Shu 2015
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Un Pu-Erh Shu « Dianyun Shu Pu » de 2019 en galette de 200g
Voilà, vous devriez en savoir déjà plus sur le Pu-Erh qu’au début de la lecture de cet article (en tous les cas je l’espère !). C’est un sujet tellement riche ! N’hésitez pas à me poser vos questions en commentaires (ou sous mes vidéos sur YouTube), j’aime toujours autant échanger avec vous sur le thé !
Pour aller plus loin :
Le site de référence sur le sujet, par Olivier Schneider, spécialiste du thé Pu-Erh.
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